Pièces choisies - страница 22



LUI. Tous ces quatre jours, nous étions à côté l’un de l’autre?

ELLE. Oui, et maintenant la conférence est achevée et demain soir, moi aussi, je prends l’avion. Plus exactement, aujourd’hui déjà.

LUI. Alors… (Après hésitation.) Et puis, non… Au revoir.

ELLE. Un moment!

LUI. (S’arrêtant.). Quoi encore?

ELLE. (D’un ton libéré.). Rien de particulier. Je veux simplement te raconter une anecdote en guise d’adieux. Puisqu’il faut te distraire, allons jusqu’au bout. Un homme, épuisé et pâle, arrive chez son médecin : « Docteur, toutes les nuits le même cauchemar m’assaille. Une voix me dit en boucle quelque chose en italien, sûrement, quelque chose de très important. Je fais des efforts pour comprendre, mais c’est peine perdue. Ça me plonge dans une telle inquiétude que je me réveille et que je ne peux plus me rendormir ». ‒ Et vous comprenez l’italien? ‒ demande le médecin. ‒ Justement, non, ‒ répond le patient. ‒ Alors, la seule chose que je puisse vous conseiller, ‒ dit le médecin, c’est d’apprendre l’italien. Alors vous comprendrez ce que vous dit la voix et, peut-être, serez-vous rassuré. Deux mois ont passé et le médecin rencontre son patient, par hasard, dans la rue, joyeux, resplendissant et le teint coloré. ‒ Alors, vous avez appris l’italien? ‒ demande le docteur. Le patient répond : ‒ Non, je dors avec une interprète.

LUI. Pourquoi est-ce que tu me racontes ça? pour me relancer?

ELLE. (Moqueuse.). Pour que tu saches que tu es passé à côté d’une rare possibilité de te défaire de ta dépression. (Avec cruauté :) Et maintenant, va-t’en, va-t’en au plus vite. Je suis très fatiguée.

L’homme marche lentement vers la sortie et s’arrête à la porte.

LUI. Probable, qu’on ne se verra plus. Mais ça ne peut pas être autrement… Tu dois me comprendre…

La femme ne répond pas.

LUI. Adieu. (Il sort.)

La femme, seule, reste longtemps assise et immobile. Puis, lentement, elle éteint les deux bougies, l’une d’abord, puis l’autre. À travers la fenêtre pénètrent les premières clartés d’un matin d’automne maussade. Elle se lève, s’assoit, se relève, puis machinalement débarrasse la table.

À l’embrasure de la porte apparaît l’homme.

LUI. C’est encore moi.

ELLE. (Pas encore revenue de ses méditations, sur un ton distant :). Vous avez oublié quelque chose?

LUI. Oui. Heu… non. Dis-moi, tout ce que tu as dit sur toi, tu l’as inventé?

ELLE. Et si je réponds non?

LUI. Tu as raison, ce n’est pas important… Tu sais, à peine étais-je sorti que j’avais compris tout de suite… si je laissais passer cette occasion, je le regretterais toute ma vie… Il y a en toi… J’ai du mal à expliquer…

ELLE. Je ne vous comprends pas bien.

LUI. Moi-même je ne comprends pas. Ça fait si longtemps que je n’ai pas éprouvé ça. Je pensais que jamais plus je ne l’éprouverais… C’est pourquoi j’ai eu peur. Toi et moi, c’est comme deux papillons attirés par un feu… Bien que nous sachions comment cela peut se terminer. Mais ça m’est égal. S’il faut aller au feu, eh bien, soit!

ELLE. (Avec douceur.). Tout doux. Assieds-toi.

Il s’assoit.

ELLE. Et maintenant, dis-moi, pourquoi tu es quand même revenu.

LUI. Tu ne comprends pas? (Il prend en souriant la bouteille de champagne.) Il nous reste à finir le champagne.


FIN

Aimer a perdre la mémoire

Любовь до потери памяти


Comédie en deux actes


À PROPOS

Un homme souffrant d’amnésie se présente dans le cabinet d’un médecin pour avoir son aide. Le médecin essaie de déceler les symptômes et les causes de la maladie, mais en vain : les réponses du patient sont tellement contradictoires qu’il est impossible d’obtenir quelque chose de sensé. Heureusement, il réussit à faire venir la femme du malade. Elle répond à toutes les questions avec clarté et assurance, mais il ressort de ses affirmations que le docteur aussi souffre d’amnésie. La situation s’embrouille davantage encore lorsqu’apparaît une autre femme déclarant aussi qu’elle est l’épouse du patient. La situation tourne à l’absurdité totale. Le docteur devient presque fou. Cette comédie dynamique et burlesque, vive et sans temps mort, connaît un dénouement inattendu. La pièce est mise en scène dans de nombreux théâtres de Russie et d’autres pays.