Pièces choisies - страница 20



LUI. Et comment as-tu supporté cela?

ELLE. Je me suis vengée.

LUI. Comment?

ELLE. (Après un petit silence.). Je ne sais pas si je dois te dire.

LUI. Vas-y, puisque tu as commencé.

ELLE. Oui, et puis on va se séparer… Pas vrai?

LUI. Oui, bien sûr. (Pause.) Mais pourquoi ce silence?

ELLE. (Le ton de sa voix change.). Écoute, si ça t’intéresse. J’ai décidé de devenir moi-même Don Juan. Plus exactement Doňa Juana. Il séduisait les femmes, je séduirais les hommes. Le plus grand nombre possible. Puisque ce genre d’homme est vu comme un héros, pourquoi une femme ne deviendrait-elle pas une héroïne également?

LUI. (Le front assombri, il s’écarte de la femme.). Alors, tu as réussi?

ELLE. En gros, oui.

LUI. Étrange vengeance.

ELLE. Peut-être.

LUI. Et stupide. Car celui qui t’a quittée n’en a rien su. Et s’il a su, il n’en a eu que faire.

ELLE. Pareil pour moi.

LUI. Et à combien de noms se monte ta liste donjuanesque?

ELLE. Beaucoup. Et le plus intéressant, c’est que depuis c’est toujours moi qui les ai quittés et non pas eux qui m’ont quittée.

LUI. Sans doute t’a-t-il fallu de grands efforts pour dépasser le nombre de ton idole?

ELLE. Non, pas vraiment. C’est Don Juan qui a dû faire des efforts pour séduire les femmes, parce qu’elles résistaient. Et elles résistaient parce que c’est cela qu’on attend d’elles. Mais les hommes ne songent même pas à résister. Tu t’offres, ils acceptent tout de suite. De plus, ils s’estiment vainqueurs. C’est même ennuyeux. C’est pourquoi j’ai décidé de les vaincre par une autre voie.

LUI. Comment précisément?

ELLE. Pas comme tu le penses. Il suffisait à Don Juan de coucher avec une femme, pour que cela soit perçu comme sa victoire. Mais pour moi, se donner, ce n’est pas une victoire sur l’homme, c’est une défaite. Et moi je veux vaincre. Je veux réellement le séduire, qu’il tombe amoureux de moi. Et c’est de loin plus difficile.

LUI. Même pour une femme comme toi?

ELLE. La principale difficulté c’est que l’on permet à l’homme de prendre l’initiative, et pas à moi, comme tu l’as expliqué. Et il m’a fallu braver les convenances et me lancer. Le reste s’avéra assez simple.

LUI. Et comment, selon toi, rend-on les hommes amoureux?

ELLE. En gros, comme avec les femmes. Par la flatterie. Grossièrement, droit dans les yeux. Presqu’à la Hugo :

            « Comment, disaient-elles,

      Attirer Achille,

      Sans brûler nos ailes?»

      (Après une pause :)

«Flattez, disaient-ils. »

LUI. Et ça marche?

ELLE. Infaillible. Certes, il y a une différence. Si l’homme arrive à ses fins par des promesses d’amour éternel, la femme, au contraire, est obligée de promettre de ne pas s’imposer à jamais. Cela effraie l’homme. Non, rien qu’une nuit. Qu’une heure. Tu es libre. Tu n’es pas lié. Tu n’es tenu à rien. Tu peux disparaître, partir quand bon te semble, où bon te semble.

LUI. (Avec froideur.). Idée intéressante.

ELLE. Tellement rebattue, que s’en est même ennuyeux.

LUI. Et moi aussi, tu as tenté de me prendre de la même façon?

ELLE. (Sur un ton provocateur.). Et qu’est-ce qui te distingue des autres? À propos, n’est-il pas temps que tu ailles à l’aéroport?

LUI. Tu as beaucoup d’esprit, beaucoup de fiel mais peu de cœur.

ELLE. On voit tout de suite que la remarque émane d’un biologiste.

Pause.

LUI. Je crois que je vais y aller.

ELLE. N’est-il pas trop tôt?

LUI. J’attendrai l’avion à l’aéroport. De toute façon, je ne m’endormirai pas. (