Pièces choisies - страница 18
ELLE. (Rayonnante de bonheur.). Enfin…
LUI. J’en ai eu envie tout le temps… Mais tu ne te donnais pas.
ELLE. Parce que tu ne voulais pas comme ça.
LUI. Et à présent je veux comme ça?
ELLE. À présent oui.
LUI. « Aimez elles répondaient », oui?
ELLE. Oui. Tu vois, comment on passe naturellement au tutoiement?
LUI. Je n’étais qu’un sot.
ELLE. Et tu le restes.
LUI. Tu n’as pas cessé de me remettre en place avec ton vouvoiement
ELLE. Parce qu’il le fallait.
LUI. Oui, j’ai eu un comportement indigne. Dis-moi, pourquoi m’as-tu accosté? Sois franche.
ELLE. Tu ne devines pas?
LUI. Non.
ELLE. Pourtant, je t’ai déjà expliqué.
LUI. S’il te plaît, ne me parle pas d’amour fou et subit. Nous ne nous connaissions pas.
ELLE. Je sais, cela n’est pas de ton goût. Tu penses, comme tout le monde, qu’une femme ne doit pas se comporter ainsi. Mais si je ne t’avais pas abordé, nous ne nous serions pas connus.
LUI. Tu as bien fait, mais qu’est-ce qui t’a décidée?
ELLE. Le fait, probablement, que je ne suis pas heureuse.
LUI. Toi non plus?
ELLE. Moi non plus. Est-ce qu’une femme comblée irait accoster un inconnu?
LUI. Et moi j’avais l’impression que tu n’arrêtais pas de me taquiner.
ELLE. Oui, je voulais que cela n’ait l’air que d’un jeu, parce qu’en réalité tout cela était sérieux. Et puis avec mes sarcasmes et ma vulgarité j’avais décidé de te faire partir… J’avais compris qu’il me serait difficile de te laisser moi-même.
LUI. C’est vrai?
ELLE. C’est vrai. Et cela m’a fait peur.
LUI. Tu m’as attiré dès le premier instant.
ELLE. Je sais. Tous les hommes sont attirés par toutes les femmes. Mais j’avais envie de quelque chose de plus grand, d’impossible.
LUI. De quoi, donc?
ELLE. Que veut toute femme? L’amour.
LUI. Eh bien, tu l’as presque obtenu.
ELLE. « Presque »? C’est donc que je n’ai rien obtenu… et au matin tu prends l’avion…
LUI. Ne pensons pas au matin. Dis-moi d’où tu viens, toute enveloppée de mystère?
ELLE. Aucun mystère, tout est banal et simple. Mais je ne dirai rien. Je veux rester dans ton souvenir la mystérieuse inconnue.
LUI. Pourquoi? Je me suis bien confessé, moi. Mais pourquoi tant de scrupules? De toute façon, nous nous séparons d’ici une heure ou deux.
ELLE. (Sur un ton de voix changé.). Avec quelle légèreté tu dis cela…
LUI. Mais nous allons bien nous séparer.
ELLE. Et il n’y a pas d’autre possibilité?
LUI. Et quelle autre possibilité peut-il encore y avoir? Le billet est acheté, le travail m’attend à la maison…
ELLE. (S’écartant de lui.). Et tu ne peux pas reporter ton départ d’un jour, d’une heure? Toute ta vie est-elle programmée et écrite jusqu’à son terme? Tu ne peux te déplacer qu’en suivant une ligne droite? Tu as peur de faire un pas à droite ou à gauche?
LUI. Je n’ai pas peur, mais…
ELLE. Non, tu as peur. Tu as peur des femmes. Tu as peur des sentiments. Tu as peur, comme tu dis, du romantisme. Tu disais que tu n’aimais pas les rencontres faciles, mais ce sont précisément ces rencontres faciles que tu préfères. Rencontres tranquilles. Qui ne te troublent pas. Qui ne changent rien. Qu’importe qu’elles ne donnent pas de joie pourvu qu’elles ne causent pas de désagréments. Sur une base raisonnable, comme en économie politique. Marchandise-argent-marchandise. Lit-argent-lit. Mais aucun amour. C’est bien ça?
LUI. « L’amour, l’amour »… Et puis après? À nouveau, la déception? À nouveau, la trahison? À nouveau, la solitude?