Pièces choisies - страница 25



LE VISITEUR. Probablement, sa nervosité vient-elle, justement, de ce qu’elle n’a pas de mari.

LE DOCTEUR. Mais elle est votre femme !

LE VISITEUR. (Perplexe.) C’est juste. Dites, comme ça, pourquoi avez-vous besoin de mon nom ? Ça facilitera la guérison, ou quoi ?

LE DOCTEUR. Pour ouvrir une fiche médicale. Pour vous suivre. Pour vous faire passer un examen. Pour vous envoyer la facture, que diable !

LE VISITEUR. La facture ? Alors, je crains de ne jamais me rappeler mon nom.

LE DOCTEUR. Avec vous, il y a de quoi perdre la raison !

LE VISITEUR. Ne prenez pas cela trop à cœur. Fumez une cigarette, détendez-vous. J’ai de bonnes cigarettes. Vous en voulez ? (Il met la main dans sa poche.) Tenez, prenez tout le paquet.

LE DOCTEUR. (Prenant le paquet.) Ce ne sont pas des cigarettes. Ce sont des jeux de cartes.

LE VISITEUR. Des cartes ? Tant mieux. Faisons une partie, ça vous distraira.

LE DOCTEUR. Je n’ai pas de temps à consacrer à de telles stupidités. De plus, je ne sais même pas jouer.

LE VISITEUR. Je vous apprendrai. (Il bat vite les cartes et les distribue.) Admettons que vous misiez dix euros sur la dame de pique. Alors…

LE DOCTEUR. (Il prend machinalement les cartes, mais, se ressaisissant les jette sur la table.) Vous vous trouvez dans un cabinet médical, et non pas au casino ! L’auriez-vous oublié ? Je suis médecin libéral, et mon temps, c’est de l’argent, beaucoup d’argent ! Vous voulez que je le perde au jeu ?

LE VISITEUR. (Confus.) Pardon. (Il range les cartes.)

LE DOCTEUR. (Las.) Vous savez quoi ? Donnez-moi, finalement, une cigarette. Bien qu’en réalité, j’aie cessé de fumer depuis longtemps.

LE VISITEUR. Tenez, je vous en prie.

LE DOCTEUR. (Étonné.) Mais ce ne sont pas des cigarettes, voyons, c’est la carte d’identité. (Il regarde la carte d’identité, compare la photographie avec le visage de l’Homme. Réjoui.) Oui, c’est votre carte d’identité !

LE VISITEUR. Eh bien, qu’est-ce que je vous disais ? J’ai une excellente mémoire.

LE DOCTEUR. (Regardant la carte d’identité.) Bien, cher Michel, nous avons, enfin, fait connaissance. (Il introduit les données dans l’ordinateur.) Michel… Grelot. Grelot, c’est vous ?

MICHEL. Et qui d’autre encore ?

LE DOCTEUR. Bon, d’accord. Venons-en, enfin, à votre affaire. De quoi vous plaignez-vous ? Soyez précis.

MICHEL. (Déterminé.) Il était temps. Vous me décevez. Je vous paie régulièrement des sommes exorbitantes et lorsqu’un poids-lourd m’a foncé dessus, vous n’avez même pas bougé le petit doigt.

LE DOCTEUR. Premièrement, vous ne m’avez versé aucune somme, encore moins exorbitante. Deuxièmement, je n’ai jamais eu vent qu’un poids-lourd vous ait foncé dessus.

MICHEL. Étrange oubli. Pourtant, je vous ai envoyé à ce propos une lettre, à laquelle vous n’avez même pas daigné répondre.

LE DOCTEUR. Je n’ai le souvenir d’aucune lettre.

MICHEL. Donc, vous souffrez d’amnésie. Le coup fut très fort, les conséquences lourdes. Vous avez été simplement obligé de prendre immédiatement des mesures.

LE DOCTEUR. (Ajoutant les données sur la fiche médicale.) Avez-vous été gravement blessé ?

MICHEL. Le côté droit a été sérieusement endommagé.

LE DOCTEUR. (Ajoutant les données sur la fiche médicale.) « Le côté droit a été endommagé… »

MICHEL. Et les deux phares cassés.

LE DOCTEUR. (En colère.) Qui a le côté endommagé ? Vous ou la voiture ?

MICHEL. La voiture, bien sûr.