Pièces choisies - страница 27



MICHEL sort. Le DOCTEUR prend sur l’étagère un gros livre médical de référence et commence à le feuilleter fébrilement, puis le jette de côté. Il prend la bouteille thermos et se verse du café, tente de le boire mais est gêné par le masque de protection. Il l’ôte, avale de petites gorgées et petit à petit retrouve son calme. Il remarque la note laissée sur le bureau par MICHEL et, tout en la regardant, compose le numéro.

LE DOCTEUR. Allo ? Irène ? Excusez-moi, c’est à nouveau le docteur. Je voulais vous dire, que, bien que vous m’ayez traité d’insolent, vous avez une voix très agréable. Ce n’est rien. C’était un malentendu. Seulement voilà, un de mes patients affirmait que vous étiez sa femme. Michel Grelot. Comment ?! Vous êtes effectivement sa femme ? Mais vous aviez dit que vous n’aviez pas de mari ! Pardon, je ne voulais absolument pas vous offenser. Dire à une femme qu’elle n’a pas de mari, ça n’est quand même pas lui faire offense. Oui… Oui… Je comprends. Je comprends. Je comprends. (La conversation est interrompue.) C’est à n’y rien comprendre.

Entre MICHEL.

MICHEL. Vous permettez ?

LE DOCTEUR. (Remettant son masque à la hâte.) Je vous en prie.

MICHEL. (Il s’avance vers le Docteur et lui dit à mi-voix à l’oreille.) Docteur, je souffre d’amnésie.

LE DOCTEUR. (S’écartant.) Je sais.

MICHEL. (Étonné.) Comment le savez-vous ?

LE DOCTEUR. C’est vous-même qui l’avez dit.

MICHEL. Quand ?

LE DOCTEUR. À l’instant. Et avant, aussi.

MICHEL. Comment ai-je pu vous le dire, si je vous vois pour la première fois ?

LE DOCTEUR. Pour la première fois ? Moi ?

MICHEL. Et de plus, je le cache à tout le monde. Je ne peux confier ce secret qu’à un médecin.

LE DOCTEUR. Mais je suis médecin, bon sang !

MICHEL. (Réjoui.) C’est vrai ? Enfin ! Alors, voilà, docteur, je souffre d’amnésie.

LE DOCTEUR prend un carafon d’eau et se verse à boire, prend un comprimé et l’avale.

(Compatissant.) Vous vous sentez mal ?

LE DOCTEUR. (Portant sa main au cœur.) Oui.

MICHEL. Vous êtes réellement médecin ?

LE DOCTEUR. Bien entendu.

MICHEL. Alors, pourquoi vous sentez-vous mal ? Seuls les malades se sentent mal, et les docteurs se sentent toujours bien.

LE DOCTEUR. Ne respirez pas si près de moi. Que voulez-vous de moi ?

MICHEL. Ce que je veux ? Rien. C’est vous-même qui êtes venu ici, je ne vous ai pas fait venir.

LE DOCTEUR. Moi ? Venu ? Vous ne m’avez pas fait venir ?

MICHEL. Mon cher, vous avez mauvaise mine. Qu’est-ce qui pourrait bien en être la cause ?

LE DOCTEUR. (Ironique.) En effet, qu’est-ce qui pourrait bien en être la cause ?

MICHEL. Il vous faut prendre davantage soin de votre santé. Mais n’en soyez pas contrarié. Je vous aiderai.

LE DOCTEUR. Merci.

MICHEL. Respirez plus profondément. Détendez-vous. Voilà, comme ça… Prenez ce comprimé. Vous allez mieux ?

LE DOCTEUR. (Le comprimé avalé, morose.) Je vais mieux.

MICHEL. (Prenant place dans le fauteuil du médecin.) Alors, vous pouvez y aller. D’autres patients m’attendent. Appelez le malade suivant.

Confondu, LE DOCTEUR va vers la sortie, mais, se ressaisissant, s’arrête.

LE DOCTEUR. (Avec une fureur contenue.) J’appelle ! J’appelle les ambulanciers et ils vous expédieront, vous savez où ?

MICHEL. Où ?

LE DOCTEUR. (Il hurle.) Silence ! C’est moi, moi qui suis médecin, et pas vous ! retenez cela, bon sang ! (Il a du mal à retrouver une contenance.) Excusez-moi, il est dans mes obligations de vous soigner, pas de crier après vous. Poursuivons notre conversation. (