Pièces choisies - страница 29
IRÈNE. Selon vous, je dois faire étalage par téléphone de tous les détails de ma vie privée au premier inconnu qui appelle ?
LE DOCTEUR. Vous avez raison. Mais je trouve ça très dommage.
IRÈNE. (Avec coquetterie.) Quoi donc ?
LE DOCTEUR. Si vous n’aviez pas été mariée, je vous aurais volontiers fait la cour.
IRÈNE. (D’un air sévère.) J’ai peur de ne pas vous comprendre.
LE DOCTEUR. (Timide.) Non, je… Je voulais dire…
IRÈNE. (Elle continue.) Je ne vous comprends pas, en effet. Les hommes ne font-ils pas la cour aux femmes mariées ?
LE DOCTEUR. Si, bien sûr…
IRÈNE. Alors, où est le problème ?
LE DOCTEUR. Vous comprenez, il y a des principes reconnus…
IRÈNE. Des principes ?
LE DOCTEUR. J’ai une règle : ne pas mélanger le travail et la vie privée. C’est pourquoi, par exemple, je ne fais jamais la cour à mes patientes.
IRÈNE. C’est très louable. Mais je ne suis pas une de vos patientes.
LE DOCTEUR. Vous êtes la femme d’un patient.
IRÈNE. Oubliez ça. J’ai entendu parler de ces règles : ne pas avoir de relations amoureuses avec des collègues de travail, avec ses patientes et ses étudiantes, avec les femmes de parents et cætera. S’il faut suivre tout ça à la lettre, qui aura donc des relations avec nous ? Et où ? Retenez une chose : il faut toujours faire la cour, et à toutes les femmes : collaboratrices, épouses de vos amis et, d’autant plus, épouses de vos ennemis. Et même parfois, vous n’allez pas le croire, à sa propre femme.
LE DOCTEUR. Donc, selon vous, ces principes…
IRÈNE. Laissez tomber les principes. Dites-moi, plutôt, honnêtement, que tout simplement je ne vous plais pas assez.
LE DOCTEUR. Je vous assure que vous me plaisez beaucoup.
IRÈNE. Quand une femme plaît vraiment, on lui fait la cour, sans penser à rien. C’est là l’unique principe juste.
LE DOCTEUR. Donc, vous ne serez certainement pas offensée, si je vous propose d’aller dîner quelque part ?
IRÈNE. Je serai offensée, si vous ne le proposez pas. Pour dire la vérité, il y a longtemps qu’il convenait de le faire.
LE DOCTEUR. Je sais, mais il est difficile de s’y résoudre dès la première rencontre…
IRÈNE. Et à partir de quelle rencontre un homme doit-il agir, si ce n’est lors de la première ? Car il peut ne pas y avoir de deuxième rencontre.
LE DOCTEUR. Mais là, tout de suite, de but en blanc…
IRÈNE. Comment cela, « de but en blanc » ? Vous avez des élans d’escargot et chargez avec l’impétuosité d’une tortue ! Nous nous connaissons depuis deux ans et ce n’est qu’aujourd’hui que vous vous êtes décidé à manifester votre intérêt pour moi.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Deux ans ? Vous êtes sûre ? Nous serions-nous déjà rencontrés ?
IRÈNE. À présent, je vois quel effet je produis véritablement sur vous. Une femme qui plaît, on ne l’oublie pas.
LE DOCTEUR. Vous me plaisez beaucoup, mais… (Il se tait. Son visage se marque d’un trouble évident. Est-il possible que le virus de destruction de la mémoire agisse si vite ?)
IRÈNE. (Parcourant le cabinet du regard.) Votre cabinet est encore plus imposant et plus impressionnant. On voit tout de suite que l’on est dans la salle de réception d’un médecin qui a réussi.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Vous êtes déjà venue ? Avant ?
IRÈNE. Bien sûr, et pas qu’une fois. Auriez-vous oublié ? Avant, me semble-t-il, il n’y avait pas là cette statuette de bronze.
LE DOCTEUR. Vous êtes sûre d’avoir été ici auparavant ?