Pièces choisies - страница 30



IRÈNE. Comment n’en serais-je pas sûre, si c’est moi-même qui vous ai amené mon mari. Vous ne vous en souvenez vraiment pas ?

LE DOCTEUR. Moi ? (Incertain.) Mais pourquoi ? Bien sûr que je me souviens. (Il verse d’une fiole des gouttes dans un verre, ajoute de l’eau de la carafe et boit, s’efforçant de faire cela à la dérobée.)

IRÈNE. À propos, je me fais du souci pour lui. Excusez-moi, je dois vérifier s’il n’est pas parti.

IRÈNE sort. LE DOCTEUR se prend le pouls. IRÈNE revient.

LE DOCTEUR. Il est parti ?

IRÈNE. Non.

LE DOCTEUR. Dommage.

IRÈNE. Voilà, docteur, je voudrais que vous me donniez un certificat de santé de mon mari avec sa fiche médicale recouvrant toutes ces années. J’ai entrepris des démarches pour obtenir une pension d’invalidité pour lui et l’attestation d’un médecin en vue peut être très utile.

LE DOCTEUR. M-m-m… Voyez-vous, je n’ai pas encore déterminé en quoi consiste sa maladie.

IRÈNE. Comment, deux ans n’y ont pas suffi ? À vous ? Un médecin si expérimenté ?

LE DOCTEUR. « Deux ans » ?

IRÈNE. Donnez-moi, je vous prie, sa fiche médicale et je ne vous détournerai plus de votre travail.

LE DOCTEUR. Je… Je dois d’abord la préparer.

IRÈNE. Qu’y a-t-il à préparer ? Imprimez-la et voilà tout.

LE DOCTEUR. J’ai l’impression que mon ordinateur bogue… Ne pourriez-vous pas repasser un peu plus tard aujourd’hui ?

IRÈNE. Bien sûr. (Elle se lève, se dirige vers la sortie, mais s’arrête.) Au fait, que dois-je comprendre ? M’avez-vous invitée à dîner ou pas ? Ou bien, cela aussi, vous l’avez oublié ?

LE DOCTEUR. Naturellement, vous êtes invitée.

IRÈNE. Je ne voudrais pas paraître insistante, mais lorsqu’un homme invite une dame, d’ordinaire il lui communique le lieu et le moment où il vient la chercher ou le lieu et le moment où ils doivent se rencontrer. Je dois me préparer. Je ne peux tout de même pas aller à un rendez-vous avec vous ainsi fagotée.

LE DOCTEUR. Vous êtes, à mes yeux, irréprochable.

IRÈNE. Non, non. Je dois me changer. Ainsi donc, je repasserai dans une demi-heure et nous nous mettrons d’accord sur tout. Et par la même occasion, je prendrai la fiche médicale.

LE DOCTEUR. Parfait.

IRÈNE. Vous en avez fini avec mon mari ?

LE DOCTEUR. Pas encore.

IRÈNE. Alors, jusque-là, je vous le laisse. (Avec un sourire très engageant.) À tout de suite.

IRÈNE sort. LE DOCTEUR reste seul. Son visage exprime un mélange de joie et de décontenancement. Entre MICHEL.

MICHEL. Docteur…

LE DOCTEUR. (L’air de souffrir.) N’allez pas me dire que vous souffrez d’amnésie.

MICHEL. Mais je ne souffre pas du tout d’amnésie. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

LE DOCTEUR. Alors, que voulez-vous, donc, de moi ?

MICHEL. Ma femme m’a dit d’attendre dans la salle d’attente, mais je m’y ennuie. Est-ce que je peux rester assis, ici ?

LE DOCTEUR. Je préfère dans la salle d’attente.

MICHEL. Je préfère ici.

LE DOCTEUR. Bon, d’accord. À une condition : vous ne parlez pas.

MICHEL. Je ne dirai pas un mot.

LE DOCTEUR. Vous promettez de ne pas oublier ?

MICHEL. Je n’oublie jamais rien.

LE DOCTEUR. (Soupirant.) Eh bien, c’est parfait.

MICHEL s’assoit discrètement dans un coin. LE DOCTEUR cherche la fiche médicale dans son ordinateur, visiblement sans succès. LE DOCTEUR s’adresse, à tout hasard, à MICHEL.

Vous ne vous rappelez pas, par hasard, si je vous ai fait une fiche médicale ?

MICHEL. Vous l’avez faite.