Pièces choisies - страница 36



IRÈNE. (À travers des larmes.) Et vous osez demander comment ? Vous m’aviez fait très bonne impression, mieux encore, vous m’aviez plu. Il m’avait même semblé que vous aussi étiez, en quelque mesure, bien disposée à mon égard… Je suis venue vers vous le cœur à découvert, et comment suis-je reçue en fait ? Avec froideur, méfiance, soumise à un interrogatoire humiliant… (Elle sanglote.)

LE DOCTEUR. Calmez-vous…

IRÈNE. Laissez-moi partir.

LE DOCTEUR. (La retenant.) Vous ne connaissez pas toutes les circonstances. Le fait est qu’en votre absence est venue… C’est sans importance.

IRÈNE. Qui est venu ? Une autre femme ?

LE DOCTEUR garde le silence, troublé.

Et elle aussi a dit qu’elle était sa femme ?

LE DOCTEUR. Oui.

IRÈNE. Et alors ? Ne me dites pas que vous l’avez crue ? Arrivez-vous à tenir un compte des fous qui viennent vous voir ?

LE DOCTEUR. Oui mais voilà, Michel l’a reconnue comme étant sa femme.

IRÈNE. Vous ignorez qu’il n’a pas de mémoire ? Et puis, est-elle vraiment venue ?

LE DOCTEUR. Oui, bien sûr.

IRÈNE. (Elle s’approche de la porte et appelle Michel.) Chéri, viens.

Entre MICHEL.

Dis-moi, est-ce qu’une femme est venue ici en mon absence ?

MICHEL. (Le plus tranquillement du monde.) Je n’ai vu personne.

IRÈNE. A-t-elle dit qu’elle était ta femme ?

MICHEL. Comment aurait-elle pu le dire, si elle n’est pas du tout venue ?

IRÈNE. Et toi, tu as dit qu’elle était ta femme ?

MICHEL Je n’ai que toi au monde, et tu le sais très bien. (Il l’embrasse.)

IRÈNE. Merci, chéri. (Au docteur.) Eh bien, me croyez-vous maintenant ?

LE DOCTEUR. Je ne sais pas quoi penser… d’ailleurs, il y a encore une circonstance… Outre la femme, un homme aussi est venu…

IRÈNE. Et alors ?

LE DOCTEUR. Il a affirmé qu’il… qu’il était votre mari.

IRÈNE. Mon mari ? (Elle rit bruyamment.) Mon Dieu, quel dur métier que celui de psychiatre ! Qui ne voyez-vous pas défiler ! (Elle continue de rire.)

LE DOCTEUR. Je ne vois pas ce qu’il y a de risible.

IRÈNE. Mais le voici, mon mari, là, devant vous ! Il vous faut d’autres preuves ? Qu’à cela ne tienne. (À Michel.) Chéri, ôte ta chemise et montre au docteur ton grain de beauté sous ton omoplate gauche.

MICHEL, obéissant, ôte sa chemise. LE DOCTEUR examine le grain de beauté. IRÈNE s’adresse au DOCTEUR.

Vous en êtes-vous convaincu ?

MICHEL. Docteur, ce grain de beauté n’est-il pas dangereux ?

LE DOCTEUR. Non.

MICHEL. (S’accrochant.) Malgré tout, je vous demanderai de me l’enlever. Je crains qu’il dégénère en une tumeur maligne.

LE DOCTEUR. Je vous assure qu’elle est inoffensive. Et de plus, je ne suis pas chirurgien.

MICHEL. Êtes-vous urologue ? Ça tombe bien, j’ai justement de gros problèmes de ce côté-là. Je vais vous montrer… (Il porte la main à la ceinture.)

LE DOCTEUR. Ce n’est pas la peine !

MICHEL. Je vous montre, quand même. Puisque vous êtes urologue…

IRÈNE. (L’interrompant.) Merci, chéri, ce n’est pas la peine. Attends-moi, s’il te plaît, dans la salle d’attente. Mais ne t’en va pas. (Avec insistance.) Tu as retenu ? Ne t’en va pas. Nous n’allons pas tarder à rentrer à la maison ensemble.

MICHEL sort.

LE DOCTEUR. Excusez-moi, si je me suis permis de douter de vous. Je dois l’avouer, cet homme m’a fait perdre le sens.

IRÈNE. Mais vous êtes certain qu’il est vraiment venu ?

LE DOCTEUR. Que signifie « certain » ? Bien sûr, qu’il est venu ! (Déconcerté.) Ou il n’est pas venu ? Bon, admettons, qu’il soit, comme vous dites, fou. Mais la femme m’a montré ses papiers d’identité, alors que vous, excusez-moi, je ne sais même pas comment vous vous appelez.