Pièces choisies - страница 37



IRÈNE. Comment ça, vous ne savez pas ? Pas plus tard que ce matin, vous m’avez téléphoné deux fois en m’appelant Irène.

LE DOCTEUR. (Au bout du rouleau.) Ah ! oui, c’est vrai… J’avais oublié…

Pendant ce temps, IRÈNE range son mouchoir, prend son poudrier et se refait une beauté. Rangeant le poudrier dans son sac, elle pousse un cri de joie.

IRÈNE. Oh ! Finalement, j’ai un document. Et en plus avec photo. Mon permis de conduire. Tenez, regardez, je vous prie.

LE DOCTEUR. Pas la peine, je vous crois.

IRÈNE. Là, vous me croyez, mais dans cinq minutes vous cesserez à nouveau de me croire. Comme tous les hommes. Regardez, quand même.

LE DOCTEUR prend le permis à contrecœur.

Que lisez-vous ?

LE DOCTEUR. « Irène Grelot ».

IRÈNE. Tout est en règle ?

LE DOCTEUR. Oui.

LE DOCTEUR rend le document à IRÈNE. Elle le fait disparaître dans son sac et en prend des photographies.

IRÈNE. Mon mari vous a-t-il dit que nous étions à la même école ?

LE DOCTEUR. Quel mari ? Michel ? Oui.

IRÈNE. Tenez, regardez, comment nous étions, enfants. Rigolos, n’est-ce pas ?

LE DOCTEUR. Vous n’avez pas beaucoup changé.

IRÈNE. Merci. Et là, nous sommes déjà adultes.

LE DOCTEUR. C’est sûrement peu de temps avant le mariage ?

IRÈNE. Oui.

LE DOCTEUR. Comme vous êtes belle ici !

IRÈNE. (Coquette.) Vous voulez dire que maintenant je ne le suis plus ?

LE DOCTEUR. Maintenant, vous l’êtes encore plus.

IRÈNE. Merci. (Faisant disparaître les photographies.) Je vois que vous êtes un homme à femmes. Je ne sais pas si une femme est venue ici, mais ce dont je suis sûre, c’est que vous l’avez invitée à dîner.

LE DOCTEUR. Je vous jure que je n’ai invité personne ! Et, en gros, personne n’est venu ! (Perplexe.) Ou il est venu quelqu’un ? Maudite mémoire… (Il se verse à nouveau une dose de gouttes.)

IRÈNE. (Elle lui confisque la fiole.) Cessez de prendre des gouttes. Avez-vous un alcool ?

LE DOCTEUR. Je dois avoir une bouteille de cognac.

IRÈNE. Eh bien, buvez double dose. Ça aide instantanément.

LE DOCTEUR. Nous allons vérifier. (Il ouvre le bar.) Oui, j’en ai ! (Il prend une bouteille.) Vous m’accompagnez ?

IRÈNE. Buvez, vous dis-je, l’effet est instantané.

LE DOCTEUR. Nous allons vérifier. (Il ouvre le bar.) J’ai beaucoup de cognac. (La mine réjouie.) Donc, je suis médecin ! (Il prend une bouteille.) Vous m’accompagnez ?

IRÈNE. Je ne vous ai pas encore pardonné.

LE DOCTEUR. Allez, oubliez ça. Buvons. (Les mains tremblantes, il remplit les verres de cognac.)

IRÈNE. (Le regardant avec pitié.) Mon cher, regardez-vous dans une glace. Que vous arrive-t-il ?

LE DOCTEUR. Je dois avouer qu’aujourd’hui je ne suis pas du tout en forme…

IRÈNE. Stop. Vous avez tout bonnement besoin qu’une douce main féminine s’occupe de vous, voilà tout. Avez-vous une femme ?

LE DOCTEUR. Une femme ? (Il réfléchit.) Je ne m’en souviens pas… que dis-je ? Bien sûr que je me rappelle. Je suis veuf, depuis des années. Mes enfants sont adultes, ils ne vivent pas avec moi. Je suis tout à fait seul… Vous savez, j’envie même votre mari. Moi aussi je jetterais tout aux oubliettes avec joie : la solitude, le travail éreintant, les inspecteurs des impôts, les collègues envieux, les patients entêtés avec leurs éternelles plaintes et maladies, et aussi du même coup mes propres maladies. Ne penser à rien, ne rien se rappeler, rester assis à côté d’une belle femme à boire un verre de cognac, tout oublier et ne jouir que de la minute présente…