Pièces choisies - страница 40



IRÈNE. (L’embrassant sur la joue.) Pour notre rendez-vous de ce soir.

IRÈNE sort. LE DOCTEUR arbore un sourire heureux. Il s’approche de la glace, s’examine sans concession, redresse la cravate, arrange sa coiffure, sort de l’armoire une autre veste aux couleurs plus vives et la met. Entre JEANNE, plus décidée encore que précédemment. LE DOCTEUR, qui s’était préparé à accueillir à bras ouverts sa visiteuse, est désagréablement surpris.

LE DOCTEUR. C’est vous ?

JEANNE. Pourquoi ? Qui attendiez-vous ?

LE DOCTEUR. Une autre femme. La femme de votre mari. Ou plutôt… Je voulais dire, la femme de Michel. Ou plutôt…

JEANNE. La femme de Michel, c’est moi.

LE DOCTEUR. J’ai un gros doute là-dessus, maintenant.

JEANNE. C’est la première fois que je rencontre un docteur qui, au lieu de s’occuper de soigner, mène une enquête. La carte médicale est-elle prête ?

LE DOCTEUR. Non. Et si elle l’était, je ne vous la donnerais pas. Qui êtes-vous, au juste ?

JEANNE. J’avais prévu que vous chercheriez n’importe quel prétexte pour vous défausser et j’ai préparé à cet effet un registre complet de documents en bonne et due forme. (Elle montre un dossier soigneusement constitué.) Voici ma carte d’identité. Voici le livret de famille prouvant mon mariage avec Michel. Voici les certificats de naissance de nos enfants, dans lesquels, d’ailleurs, sont enregistrés aussi les noms de leurs parents, autrement dit, le mien et celui de mon mari. Voici la photographie de mariage, voici également une photo du mariage mais avec les invités, et voici des photos où nous sommes avec les enfants. Voici des factures d’électricité ainsi que d’autres paiements à notre nom. Vous êtes convaincu maintenant ?

Stupéfait LE DOCTEUR rassemble les documents et les rend à JEANNE.

LE DOCTEUR. Je… Je… (Il va pour prendre les gouttes, mais repousse la fiole et se verse une bonne dose de cognac.) Finalement, vous êtes tout de même sa femme ?

JEANNE. Vous pensez peut-être que je suis sa grand-mère ?

LE DOCTEUR. Honnêtement, je ne sais pas quoi penser. (Il reprend le verre de cognac.)

JEANNE. (Sur un ton impérieux.) Reposez votre verre ! (D’un geste décidé elle écarte la bouteille.) Je commence à sérieusement m’inquiéter pour la santé de mon mari.

LE DOCTEUR. Pourquoi ?

JEANNE. Parce que son docteur est alcoolique.

LE DOCTEUR. Je ne bois pas du tout.

JEANNE. Je vois ça.

LE DOCTEUR. Vous êtes vraiment sa femme ?

JEANNE. Pourquoi cela vous étonne-t-il ?

LE DOCTEUR. Je ne m’étonnerais pas si… Si l’autre femme…

JEANNE. (Sur un ton cassant.) En ce qui concerne l’autre femme, c’est uniquement le résultat des vapeurs d’alcool ou le fruit de votre imagination détraquée. Je sais, en tant que juriste, que, suite au contact permanent avec les fous, les médecins psychiatres ont du mal à préserver leur santé mentale. Cette femme n’existe pas.

LE DOCTEUR. Elle existe !

JEANNE. (Implacable.) Elle n’a jamais existé et elle ne peut pas exister. Vous ne vous contrôlez pas. Votre mémoire vous joue des tours. Vous avez même oublié que vous soignez mon mari depuis près de deux ans. Vous avez perdu sa carte médicale. Il est possible que vous l’ayez effacée de la mémoire de l’ordinateur par négligence ou intentionnellement. Il ne nous reste plus qu’à la restaurer. Il vous sera très difficile d’expliquer au tribunal, pourquoi vous ne l’avez pas fait.