Pièces choisies - страница 6
ELLE. Vous savez quoi? Lorsque, par exemple, en Espagne, une dame proposait un rendez-vous à un homme, même en pleine nuit et dans un lieu inconnu, il y allait sans hésiter, sans penser à sa bourse ou aux dangers. C’est comme ça qu’agissaient les vrais cavalleros.
LUI. Mais nous ne sommes pas en Espagne et nous ne jouons pas une comédie de cape et d’épée. Nous sommes dans notre triste réalité de tous les jours, où il y a beaucoup de filouterie, de mensonges, de criminalité et de cruauté. De plus, il ne s’agit pas seulement de prudence de ma part.
ELLE. Et de quoi donc?
LUI. Pour être franc, plonger la cuillère dans la soupe c’est agréable quand elle est dans une assiette propre et non pas dans une auge publique. Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser.
ELLE. Peut-être ne vouliez-vous pas, mais vous l’avez fait. Mais pas avec vos paroles grossières, non, j’en ai plus qu’entendu de votre part, mais tout simplement parce que vous ne voulez pas de moi. Et pour une femme, il n’y a pas plus grande offense que de savoir qu’elle n’est pas désirée.
LUI. S’il vous plaît, laissons ce sujet. Nous en étions convenus.
ELLE. Nous ne sommes convenus de rien.
LUI. Parlons d’autre chose.
ELLE. Abstenons-nous plutôt de parler d’autre chose.
Pause.
LUI. Puisque vous n’aimez pas la vodka, peut-être, commanderons-nous pour de bon du champagne?
ELLE. Pas maintenant.
LUI. Et quand?
ELLE. Demain matin.
LUI. Il n’y aura pas de demain matin.
ELLE. Si.
LUI. Non.
ELLE. Et qu’y aura-t-il? Seulement la nuit?
LUI. Il n’y aura rien, aucune coucherie.
ELLE. Mais je ne vous l’ai même pas promise. En général, un homme marié n’est pas disposé à coucher dans deux cas : ou bien sa femme l’a à ce point ensorcelé, qu’il n’est pas attiré par d’autres femmes, ou bien elle l’a à ce point réfrigéré qu’il en a perdu le goût. Avec laquelle de ces deux variantes avons-nous affaire dans votre cas?
LUI. (Sèchement.). Je vous ai priée, me semble-t-il, de ne pas toucher à ma vie privée. De ne pas prononcer un mot sur ma femme. Et, plus largement, de ne pas parler de moi.
ELLE. Et de quoi alors?
LUI. De ce que vous voulez, mais pas de moi.
ELLE. Et moi, justement, j’ai envie de ne parler que de vous.
LUI. Ça vous sert à quoi?
ELLE. Ça vous sert vous. Vous n’êtes pas heureux. Vous n’avez personne à qui vous confier.
LUI. Tout va bien pour moi.
ELLE. Et puis, vous avez peur de moi.
LUI. Moi, peur de vous?
ELLE. Oui. Vous avez peur de me céder, mais plus encore de me laisser, de retourner dans votre chambre et de rester seul à seul avec vous-même. Voilà pourquoi vous restez avec moi et me proposez du champagne, bien qu’au fond de vous-même vous me méprisiez. Vous me méprisez et vous me voulez. Je me trompe?
LUI. Foutaise!
ELLE. C’est la vérité.
LUI. Non, vous vous trompez.
ELLE. Vous ne me méprisez pas, mais me voulez seulement?
LUI. Non.
ELLE. Vous ne me voulez pas, mais me méprisez seulement?
LUI. Vous avez une habileté consommée à chambrer les gens et à vous cramponner au moindre mot.
ELLE. Je me cramponne, parce que je veux vous accrocher. N’est-ce pas suffisamment clair?
LUI. Et vous l’avouez?
ELLE. Est-ce que je vous l’ai caché? Depuis le tout début, je ne vous parle que de cela. Mais, pour une raison que j’ignore, vous avez peur de moi.
LUI. Je n’ai peur de rien. Simplement, je trouverais désagréable de me réveiller le matin aux côtés d’une inconnue.