Pièces choisies - страница 4



ELLE. Pour vous, seules les épouses peuvent être romantiques? Eh bien, je l’ignorais.

LUI. Tu sais quoi? Tu causes trop. Bois et tais-toi, ça vaut mieux.

ELLE. Je n’ai pas envie. Je n’aime pas la vodka.

LUI. Tu comptais, sans doute, sur le champagne?

ELLE. (changeant de ton). Je comptais au moins sur une banale politesse. La politesse d’un homme envers une femme. D’un être humain envers un autre humain. Je ne vous ai pas encore fixé mon prix et vous m’avez déjà traitée de putain. Et en plus, je ne sais pas pourquoi, vous me tutoyez, bien que je vous vouvoie. (Elle se lève.) Je vous dis adieu. Je ne vous embêterai plus. (Elle laisse l’homme, retourne à sa table et s’assoit.)

Pause.

La femme, à sa table, boit son café refroidi avec de longues pauses entre chaque gorgée. L’homme se lève, puis se rassoit, reprend son manuscrit et l’ouvre, mais visiblement le cœur n’y est pas. Repoussant le manuscrit, il se dirige d’un pas décidé vers la femme et commence à s’asseoir près d’elle. La femme l’arrête.

ELLE. Je ne vous ai pas permis de vous asseoir.

LUI. (se redressant). Excusez-moi. (Il recule de deux pas et se rapproche de la table. Très poliment :) Pardon, la place est libre?

ELLE. Oui.

LUI. Je peux?

ELLE. Faites.

LUI. Je vous remercie. (Il s’assoit. Après un bref silence :) Pourquoi êtes-vous partie?

ELLE. De loin, vous me faisiez l’effet d’un intellectuel. Et donc, j’ai décidé de m’éloigner de la même distance. Mais, hélas, l’illusion ne s’est pas répétée.

LUI. Je reconnais que j’ai été quelque peu grossier avec vous.

ELLE. « Quelque peu »?

LUI. Très grossier. Je le regrette.

ELLE. Je suis contente de vous entendre dire cela.

LUI. Qui que vous soyez, j’aurais dû me conduire poliment. Vous avez eu raison de me remettre à ma place. Je ne vous ai pas tout de suite appréciée à votre valeur et je me suis conduit avec vous assez dédaigneusement et avec condescendance.

ELLE. Et moi, j’ai été assez sans-gêne et je le regrette aussi. Il m’est agréable de voir qu’à présent vous vous conduisez comme un vrai homme. Vous pouvez considérer que le conflit est éteint.

LUI. J’étais obligé de présenter des excuses, mais cela ne change pas le fond de l’affaire. Votre profession ne suscite toujours pas mon enthousiasme et je n’ai pas besoin de vos services.

ELLE. Alors, maintenant que nous nous sommes excusés tous les deux, vous pouvez retourner à votre dîner et à votre travail si extraordinairement important.

LUI. (Il se lève mais ne part pas.). Pourquoi ne retournerions-nous pas ensemble à ma table?

ELLE. Qu’a-t-elle de mieux que la mienne?

LUI. Qu’a-t-elle de pire?

ELLE. Voyez-vous, quand une femme vient s’asseoir à côté d’un homme, cela est considéré comme immoral, ce que vous m’avez laissé entendre avec la délicatesse qui vous est propre. Mais lorsqu’un homme s’assoit à la table d’une femme et commence à l’importuner, on ne sait pas pourquoi, cela prend toutes les apparences de la normalité et personne ne s’en trouve dérangé. Si bien qu’il vaut mieux que je reste à ma table. Ici, au moins, je me sens maîtresse de la situation. Et personne ne pourra dire que je m’impose.

LUI. En d’autres termes, vous m’invitez à venir m’asseoir?

ELLE. Je n’ai pas dit cela. Mais si vous en demandez l’autorisation, je ne dirai pas non.

LUI. Je vois. Donc, vous m’autorisez?

ELLE. Je vous accorde un temps d’essai.