Pièces choisies - страница 9



ELLE. Voilà, vous m’invitez à réciter des vers. Je peux ici même vous réciter quelque chose pour commencer. Rachmaninov a une romance sur des paroles de Hugo. Elle s’intitule : « Comment, disaient-ils? » Vous connaissez?

LUI. Non. Mais je préfèrerais avoir une réponse à ma question.

ELLE. (L’interrompant.). Écoutez jusqu’à la fin. Ce poème de Hugo est assez étrange. Dans chaque strophe, des « ils » inconnus posent une longue question pleine d’émotion, et d’autres « ils », ou, plus précisément, « elles », parce que dans le texte original français est utilisé le pronom personnel féminin, donnent une très brève réponse, simple et inattendue.

LUI. Quelque chose m’échappe.

ELLE. Bon, écoute cet exemple :

Comment, disaient-ils,

Oublier querelles

Misère et périls?

(Après une courte pause.)

‒ Dormez, disaient-elles.

LUI. Tout cela est très intéressant, mais quel rapport cela a-t-il avec le conseil que vous vouliez me donner?

ELLE. Le conseil est le suivant :

Comment, disaient-ils,

Enchanter les belles

Sans philtres subtils?

(Elle se tait.)

LUI. Et?…

ELLE. Aimez, disaient-elles.

LUI. J’ai compris l’allusion. Mais il ne peut être question d’amour dans notre cas.

ELLE. Est-ce à dire que vous me proposez de faire l’amour, mais sans amour?

LUI. On peut le dire comme ça aussi. Je préfère que nos rapports se construisent sur une base prosaïque, sans romantisme inutile.

ELLE. (Très sèchement.). Alors, adressez-vous au portier, il vous proposera sûrement une fille pour la nuit pour un prix modique. Au revoir. (Et comme l’homme ne quitte pas sa place, elle répète :) J’ai dit « Au revoir ».

LUI. Demain, je prends l’avion.

ELLE. Alors, adieu.

L’homme retourne lentement à sa table, prend son porte-documents, se dirige vers la sortie mais s’attarde près de la table, où est assise la femme.

LUI. Vous restez?

La femme ne répond pas.

LUI. Vous comptez chasser un autre client?

ELLE. Vous avez quelqu’un à me recommander?

LUI. Il n’y a pas d’amateurs de telles aventures parmi mes connaissances.

ELLE. Il ne fait pas de doute que vous connaissez mal vos amis. Adieu.

LUI. Adieu.

L’homme part. La femme reste seule. Visiblement, elle est contrariée et déçue. Les lumières du restaurant sont baissées, signe qu’il va fermer. La femme regarde l’addition posée devant elle, met l’argent sur la table et s’apprête à partir. C’est à ce moment que réapparaît l’homme.

LUI. Vous êtes encore là? J’avais peur que vous soyez partie.

ELLE. Que voulez-vous?

LUI. Je me suis imaginé seul dans ma chambre, en tête à tête avec moi-même et je ne me suis pas senti bien. Dans ces minutes-là, j’ai parfois de telles bouffées de dépression que je… Bref… Vous m’avez demandé pourquoi je vous proposais de monter dans ma chambre. Eh bien, je vais vous répondre : pour ne pas être seul. Vous me comprenez?

ELLE. (Avec sérieux.). Je vous comprends très bien.

LUI. Vous me provoquez tout le temps, parfois même vous vous moquez, mais je ne sais pas pourquoi je trouve intéressant d’être avec vous. En tout cas, c’est mieux que d’être seul. Aussi, je vous prie de m’accompagner. Je n’exigerai rien de vous et dans tous les cas je vous paierai.

ELLE. Bon, entendu. (Souriant :) Je suis une fille sans expérience, je ne sais pas résister.

LUI. (Doutant de son succès.). C’est vrai, vous êtes d’accord?

ELLE. Je vous ai dit oui, voyons. Mais j’ai l’impression que cela ne vous réjouit pas vraiment. Vous avez l’air quelque peu déconcerté.